Chronique hivernale du jardin (8) - Le pin et le romarin

J'ai un tout petit jardin. Un petit carré que j'appelle avec tendresse et un brin pompeusement mon "carré de potager-mandala", jardin-miroir, fenêtre sur mon monde intérieur, un petit jardin de simples à la va comme je te pousse qui alimente mon inspiration et approvisionne 
sans faillir mes tisanes-sorcières.


Je n'ai pas particulièrement baigné dans les traditions anciennes, mais j'ai l'impression que la "tradition" passe à travers moi sans même que je le sache vraiment, sans même que j'en aie conscience.

La tradition, ou ma culture, me traverse. Et je n'y peux rien. François Terrasson l'exprime de façon forte dans La Peur de la Nature : "... la culture est inconsciente. On la suce avec le lait de sa mère et elle vous colle à la peau." (Ed. Ellébore, p24)

Cette année, j'ai confectionné un autel. Et cet autel, avec quelques détours, me conduit directement... au mouchon de Nau de ma tradition familiale. 

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Chez moi, cette année, les retrouvailles traditionnelles familiales se feront la semaine prochaine. Du coup, toute à ma plongée dans le solstice, je me disais assez naïvement que le jour même de Noël serait pour moi tout à fait neutre, un jour comme les autres, en somme. Sauf que, depuis ce matin, j'ai l'impression que l'Univers entier conspire à me rappeler que, aujourd'hui, c'est un jour particulier - et je ne parle pas des injonctions de joie et de chaleur humaine véhiculées par les médias - of course. Un jour qui, malgré moi, malgré mes convictions, malgré mes réflexions, un jour qui est culturellement ancré en moi, quoi que j'y puisse.

Le souvenir persistant, depuis quelques jours, de la voix de mon grand-père parlant d'aller chercher dans la grange le mouchon de Nau, me poursuit. Je n'y vis pas, mais ma famille maternelle est enracinée en Charente depuis la nuit des temps au moins, et le mouchon de Nau, en Charente, c'est la bûche, la bûche que l'on met dans l'âtre le soir de Noël et qui doit tenir jusqu'à la Saint Sylvestre.

Une image de mon rêve de la nuit dernière me poursuit aussi – j'y entends un air de musique qui monte depuis une forêt.

Et ce matin, j'ai regardé mon autel. Il m'est apparu que la végétation posée dessus devait se renouveler. Pas parce qu'elle était flétrie. Pour une autre raison qui m'échappe. 
...parce que.


Il fait moche ici, il fait humide et gris, mais tant pis. Même pour un tout petit moment, je suis sortie, comme poussée de l'intérieur.

J'ai fait le tour de mon jardin, j'ai regardé mon tout petit jardin. Évidence : mon autel n'a plus besoin de branchettes de pin, mais de romarin. Mon romarin fleurit, mon romarin m'appelle, tout comme le lilas tout branchu tout gris qui pourtant fait gonfler déjà ses bourgeons, l'imprudent.

Ce que je sens très fort aujourd'hui, c'est que la tradition n'a pas besoin du folklore, n'a pas besoin du revivalisme pour passer et traverser les époques : les traditions passent même si on oublie les rites, les gestes, les mots, elles passent autrement. Par d'autres voies, des voies sans doute souterraines. Elles passent, et si on écoute bien, on les entend passer - comme un clapotis sous la surface de nos mondes.





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Photo : IG


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