Chronique du jardin (6) - De la nécessité

J'ai un tout petit jardin. Quelques pots, et un petit carré que j'appelle avec tendresse et un brin pompeusement mon "carré de potager-mandala", jardin-miroir, fenêtre sur mon monde intérieur, un petit jardin de simples à la va comme je te pousse qui alimente mon inspiration et approvisionne 
sans faillir mes tisanes-sorcières.


 
C'était la pleine lune, hier. Je l'ai vue monter depuis l'horizon, presque rouge, alors que je sortais du marasme d'une journée qui a ressemblé à un re-calibrage, à un redémarrage, alors même que je n'avais pas prévu de caler.

Je suis passée devant mon laurier rose, près de la porte d'entrée, plusieurs fois ces derniers jours. Mon laurier, ça fait deux ans qu'il n'est pas en grande forme. Les tiges noircies par une sorte de champignon l'an dernier, le feuillage rare cette année ; je l'anticipais déjà tout sec.

Je me suis arrêtée devant, saisie – il m'a fallu plusieurs passages aujourd'hui pour prendre conscience de ce qui se passait sur ce laurier.
Il est en fleurs.
Il est à moitié mort, et à moitié en fleurs.
Il est couvert à la fois de feuille mortes et de fleurs.

J'ai été comme prise d'un hoquet. Ce laurier m'a fait prendre la mesure de cette phrase qu'on m'a dite récemment : une plante fleurit car c'est tout ce qu'elle a à faire.
La plante fleurit car c'est son job. On ne peut pas l'empêcher de fleurir. Quoi qu'il lui en coûte – c'est, en tous cas, ce qui me venait à l'esprit, au cœur, plutôt, devant mon laurier. Quoi qu'il en coûte de souffrance ou d'effort, ce laurier doit fleurir. Et il fleurit.
Je suis restée un moment devant lui, à laisser affluer des souvenirs... d'accouchement.

Une plante qui fleurit - un corps de femme qui accouche, qui s'ouvre, un corps qui n'a pas le choix, qui doit s'ouvrir pour laisser passer la vie. Le corps qui sait ce qu'il a à faire ou à laisser faire, qui n'a d'autre choix que de consentir au passage, à l'ouverture, même si ça fait mal, même si ça fait peur, même si ça déchire, même si ça crie.
Un laurier qui fleurit. Un corps qui en laisse passer un autre.

Quoi que nous fassions, la vie se fraie un chemin à travers nous - que ce soit facile parfois, terriblement dur à d'autres moments. Mais la vie cherche à passer, à tracer le chemin à travers nos peurs, nos contradictions, nos actions désespérées. Ça cherche à fleurir. Ça cherche à sortir. Ça cherche.
Il y a des années déjà, alors que j'allais marcher seule en montagne, une femme m'a posé cette question : quelle est ta question ?

Je n'ai jamais su quoi lui répondre. Je ne sais toujours pas. Mais des réponses jaillissent parfois, quand je fais suffisamment taire le brouhaha de l'intérieur.

Et vous, votre question à vous, quelle est-elle ? Qu'est-ce qui cherche à sortir de vous-même ? Qu'est-ce que vous avez peur de laisser jaillir ?
Les journées off, ça a du bon.
Ça permet sans doute de laisser mûrir ce qui a besoin de mûrir – un enfant, des mots ou de la conscience - pour enfin fleurir.






Photos : IG


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