Je suis bleue

Je relisais, ces derniers jours, le conte de Barbe Bleue, l'un des premiers qu'on trouve dans le livre de C. Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups...





Je suis bleue.

Je n'aimais pas le bleu jusqu'à ces derniers mois : j'en porte très peu – encore maintenant -, j'ai très peu dessiné ou peint dans ma vie, les arts plastiques ou colorés ne m'attiraient pas plus que ça – bref, la couleur, assez peu pour moi.

Mais l'été dernier, j'ai expérimenté un phénomène complètement inédit dans ma vie. Je suis entrée, sans trop savoir pourquoi, dans une boutique d'artisan pastellier. Pourquoi j'ai été attirée par cette boutique, je ne sais pas vraiment.
Et dans cette boutique, dans laquelle j'aurais pu rester des heures, entourée de bleu, de tissus, de textures, de bâtons de pastels, de flacons de teinture, parmi les savons parfumés, les enluminures, les livres, enveloppée par une ambiance musicale, pour moi à cet instant-là, parfaite – de la musique ancienne, vous savez, viole de gambe et consort de flûtes à bec -, j'ai été prise d'une émotion folle.
Comme si je retrouvais le contact avec quelque chose en moi que j'ignorais, pourtant bien là, mais qui avait soif, soif, soif d'être écouté, nourri, abreuvé – abreuvé de bleu, de couleur, de douceur.

Et à partir de là, quelque chose a bougé en moi.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi, j'ai remarqué que j'étais sensible à la lumière, à des ambiances, des couleurs. Que j'avais envie de dessiner.
De peindre – et pourtant, j'ai toujours cru que j'étais nulle en dessin. Une amie à qui j'ai rendu visite à cette période m'a montré ses dessins, ses essais de peinture, de collages ; elle m'a permis de mettre plus de clarté dans mes envies.
Je n'ai pas envie de dessin figuratif : j'aime les symboles, les entrelacs, les couleurs qui se mélangent. J'aime – je suis tombée des nues – le doré, le brillant, j'aime ce qui évoque le voyage, les vieilles civilisations, l'art antique. Tout ce qui, finalement, m'attirait via les mots et les livres depuis longtemps, se manifeste maintenant aussi via le visuel et l'envie de créer, de faire moi-même. Je sors de mon côté intellectuel indécrottable.

Je suis bleue.
Et je lis... Barbe Bleue.
Le rapport m'a sauté aux yeux ce matin.
Pendant longtemps, j'ai été cette femme jeune, naïve, qui délègue son pouvoir et consent à être derrière, à la traîne, un peu humiliée parfois mais sans vraiment s'en rendre compte, avec plein de choses à dire mais imaginant que les dire est insurmontable.
Pendant longtemps, j'ai consenti à me taire – sans doute cela m'arrangeait bien aussi.
J'ai été cette femme naïve qui consent à faire taire ses envies, ses désirs, sa créativité, son feu même, et qui un beau jour s'aperçoit du carnage.

Aujourd'hui, peut-être que je m'autorise à me sentir bleue parce que j'ai vu l'étendue des dégâts en moi. Parce que j'ai vu à quel point je m'étais écrasée moi-même, reléguée au second plan, terrifiée par le monde, m'en protégeant en m'empêchant d'être vivante tout à fait, en délégant ma voix aux autres.
Aujourd'hui je me réapproprie ma voix.
Ma voix de chanteuse, ma voix de diseuse, de liseuse.

Nous n'avons une voix que dans la mesure où nous avons un corps. Rien de plus intime et personnel qu'une voix, imprimée au cœur de notre chair, modelée par nos os et nos émotions.

Et nos corps ont besoin d'une voix – qu'elle soit sonore ou symbolique – pour s'exprimer et imprimer le monde.

Isabelle

 
Photo : IG

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