Hiver - Jour de passage

Jour de passage. Jour de grand vent.
Nous sommes au début de l'hiver. Le solstice en est le creux. Nous entamons aujourd'hui, avec Samain, Halloween, la Toussaint, la lente descente vers le plus froid, le plus court, le plus obscur, le plus intérieur – vers l'intérieur de nous-mêmes.

Le sol commence à digérer les feuilles tombées, humus lentement assimilé, broyé, intégré. Nous faisons de même avec ce que nous sommes. Nous digérons l'année passée. Nous intégrons les expériences vécues. Nous descendons vers le dedans. Il n'y a rien à faire, sinon se poser et regarder le processus se faire : c'est le moment de nous calmer, de vraiment nous calmer, de dormir, de faire confiance à la nature qui sait fort bien quoi faire pour que le printemps revienne. Nous n'avons qu'à laisser faire.

Le tri va se faire. Les feuilles continuent de tomber, les nôtres aussi. Nos oripeaux lâchent. Les coins sombres sont nos amis, nous pouvons enfin aller les visiter, les laisser nous enseigner ce que nous avons besoin d 'apprendre.

Là haut, là-haut, dedans la tour...
Je plonge dedans moi, et là-haut, là-haut, cela parle aussi.
Un homme que j'ai rencontré dans mon enfance est mort récemment. Une de ces personnes qui comptent, une de celles par qui quelque chose est advenu.
Un homme qui chantait. Un homme qui chantait une histoire terrible : dedans la tour, la fille du roi pleure ses amours. Elle y est enfermée par son père, qui refuse qu'elle épouse l'homme qu'elle aime.

J'avais une dizaine d'années quand je l'ai entendu chanter cette chanson-là la première fois, et depuis elle ne m'a plus quittée. Cette chanson fait partie de mon héritage, fait partie de ce qui me construit. Cette chanson me vient spontanément lorsque quelque chose pour moi se passe. Lorsque quelque chose bouge dans moi, dans ma vie. Cet homme est mort, et je sens que, d'une certaine façon, sa mort m'autorise à aller regarder en moi d'une nouvelle façon. Avec toute la douceur terrible que la nouvelle de son décès a fait descendre en moi.
Quelque chose passe. Le temps nous traverse.

Nous n'avons pas le choix.
Nous devons traverser ce moment, cette jachère, cette friche froide, cette période de silence et d'obscurité.
Nous pouvons choisir de l'ignorer, de passer à côté, de faire comme si. Comme si nous avions le choix de ne jamais nous poser et sentir ce qui se passe en nous. Mais même si nous faisons semblant, nous n'avons pas vraiment le choix : nous devons traverser l'obscurité.

Nous avons le droit de nous laisser porter par la vague froide. De pleurer nos morts, les vrais morts qui chantent, et les parts mortes de nous-mêmes qui tombent avec les feuilles rouges et jaunes, de les laisser digérer par la terre, les morts qu'on aime et les morts de notre vie passée, de les laisser nourrir la terre et le temps pour revenir ensuite à notre vie - plus vivante encore.


Isabelle


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Photo : IG

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