Je voudrais être... {Chanson traditionnelle}
Journée de transit, de vacance, de
lecture ininterrompue dans des trains à travers la France...
J'ai lu d'une traite La Terre qui
penche, de Carole Martinez : une chronique à la fois poétique,
onirique et cruellement ancrée dans le monde, qui met en scène une
fillette dans un Moyen-Age où les filles sont au service des hommes
et des terres.
Je suis profondément touchée par cette lecture - entre autres raisons, j'y
ai retrouvé les paroles d'une chanson traditionnelle que m'a
apprise mon amie M. il y a quelques années.
Je voudrais être mariée, j'irais peut-être plus aux champs... voilà la belle mariée, elle va toujours aux champs. Adieux, nos amourettes, adieu donc pour longtemps...
... et la belle déroule sa vie, souhaite de toutes ses forces échapper aux champs, à sa condition qui l'empêche de déployer son envergure, souhaite être enceinte pour rester dans sa maison, puis accoucher, puis vieillir, rien n'y fait, elle doit toujours aller dans ces champs qui l'enchaînent, et dans la mort même elle n'y échappe pas, c'est dans un champ qu'on l'enterre.
Pas d'espace, pas de respiration, ces vieilles chansons nous racontent ces douleurs-là si on les écoute, les douleurs des filles condamnées à ne pas avoir de voix, à servir de monnaie d'échange dans des transactions voulues et menées par des hommes, à laisser les rivières les séparer de leurs amants, à servir de ventre à remplir, à voir leurs petits fauchés par les maladies ou les guerres.
Je voudrais être mariée, j'irais peut-être plus aux champs... voilà la belle mariée, elle va toujours aux champs. Adieux, nos amourettes, adieu donc pour longtemps...
... et la belle déroule sa vie, souhaite de toutes ses forces échapper aux champs, à sa condition qui l'empêche de déployer son envergure, souhaite être enceinte pour rester dans sa maison, puis accoucher, puis vieillir, rien n'y fait, elle doit toujours aller dans ces champs qui l'enchaînent, et dans la mort même elle n'y échappe pas, c'est dans un champ qu'on l'enterre.
Pas d'espace, pas de respiration, ces vieilles chansons nous racontent ces douleurs-là si on les écoute, les douleurs des filles condamnées à ne pas avoir de voix, à servir de monnaie d'échange dans des transactions voulues et menées par des hommes, à laisser les rivières les séparer de leurs amants, à servir de ventre à remplir, à voir leurs petits fauchés par les maladies ou les guerres.
Les chansons traditionnelles, je baigne
dedans depuis toute petite, j'entends dedans les douleurs et les
mémoires qui se racontent, les filles enfermées dans les tours qui
se font passer pour mortes, celles dont les amants meurent à la
guerre et qui finissent vieilles et délaissées, celles qui noient leurs
nouveaux-nés dans la rivière pour ne pas se faire répudier, ces
femmes-là nous parlent de nous, des histoires de nos familles, des
mémoires dont on a perdu la trace mais dont il subsiste, subtilement mais de façon tenace, des échos dans nos vies à nous.
Je me souviens de mon émotion à
apprendre une chanson qui parle d'une femme dont le fiancé part à
la guerre, juste pour quelques jours, dit-il ; il revient douze ans plus
tard, on ne le reconnaît pas. Sa fiancée est sur le point de se
marier avec un autre...
De cette histoire-là, j'ai des bribes dans ma propre famille. Mon grand-père, féru de généalogie, a retracé l'histoire d'un de nos ancêtres, soldat pendant les conquêtes napoléoniennes, qui a dû épouser la sœur cadette de sa promise, après quatorze années de campagne à travers l'Europe...
De cette histoire-là, j'ai des bribes dans ma propre famille. Mon grand-père, féru de généalogie, a retracé l'histoire d'un de nos ancêtres, soldat pendant les conquêtes napoléoniennes, qui a dû épouser la sœur cadette de sa promise, après quatorze années de campagne à travers l'Europe...
Je sens que cette lecture va creuser
son lit encore un peu en moi et faire émerger beaucoup d'autres
images, de symboles, de mémoires ou de souvenirs. J'aime me sentir
remuée ainsi, je sens que du fond de la rivière remontent quelques
os et que le courant charrie du limon - c'est ce qui fertilise les
berges.
La Terre qui penche – Carole Martinez
– Editions Folio
Isabelle
Photo : IG. Nigelle sur le point d'éclore.
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